Après avoir passé trois jours à Belgrade, dans cette capitale jeune et vibrante, je décide d’aller explorer le reste du pays. J’avais déjà expérimenté avec la Macédoine, que la capitale d’un pays ne reflète pas l’image d’un pays entier (à relire: Skopje, la capitale du kitsch). Je jette donc mon dévolu sur la ville de Niš (prononcer “nich”) au sud de la Serbie, qui est connue pour son patrimoine historique et est la troisième ville du pays.
Arrivée à Niš
En plus, c’est facilement accessible depuis Belgrade en transports en commun (plus de 40 connections directes par jour en bus). Facilement accessible…en théorie. Car j’ai connu pas mal de péripéties avec les transports serbes. En me rendant à Niš, le bus est tombé en panne sur l’autoroute juste à la sortie de Belgrade. Je vous invite à (re)lire mon article Galères de voyage avec les transports serbes, pour savoir à quoi vous devez vous préparer.
Bref, après ce trajet chaotique, j’arrive enfin dans la ville de Niš. Ma première impression est que la ville a une ambiance très orientale par rapport à Belgrade qui est résolument occidentale (fast food à profusion et grandes chaînes européennes de magasins de vêtements). Or ici, à la sortie de la gare routière de Niš, on tombe directement sur un marché turc et on remarque que la tenue vestimentaire des gens est différente de ceux de la capitale (en fait il y a beaucoup de Roms dans ce coin du pays). Le marché se compose d’une partie extérieure avec surtout des boutiques de snacks et d’objets pour la cuisine ou la maison. Et il y a une partie couverte avec des centaines de stands de fruits et légumes. J’en profite pour acheter de quoi me faire un déjeuner dans le parc. Contre les murs de la forteresse, le marché continue de s’étendre avec des stands à même le trottoir pour vendre toutes sortes d’objets.
Mon séjour à Niš sera sur le thème de l’histoire. En fait, la plupart des sites touristiques de la ville ont un rapport avec une période de l’histoire de la Serbie.
La domination turque
La forteresse turque de Niš (Нишка тврђава) se trouve juste à côté de la gare routière et du marché. C’est comme un grand parc, l’occasion d’une agréable balade ponctuée de vestiges archéologiques ici et là. Les fortifications actuelles de 8m de haut ne datent que du début XVIIIème siècle, mais à l’intérieur du site, on trouve des monuments datant de l’époque romaine et byzantine.
Un restaurant cossu a installé sa terrasse sur les anciennes fondations du hammam. C’est le plus vieux bâtiment ottoman de la ville (XVème s.). Au centre du site, on y trouve la mosquée Bali Beg du XVIème s. qui abrite aujourd’hui une galerie d’art. Il y avait auparavant dix mosquées au sein de la forteresse, mais celle-ci est la dernière qui tient encore debout. Finalement, seul le lapidarium a conservé son usage et son état d’origine. On remarque que la forteresse est un lieu vivant, un lieu de rassemblement pour les habitants. Des jeunes, des familles, des joggers viennent profiter de ce grand parc ombragé avec vue sur la rivière Nišava qui sépare la vieille ville de la ville nouvelle.
Le centre-ville de Niš
Après la visite de la forteresse, je traverse donc le pont et la rivière Nišava pour aller dans le centre ville de Niš. Un centre piéton fort agréable avec plein de boutiques, de cafés, de restaurants et d’échoppes et toujours ces vendeurs de rue de pop corn.
Au détour d’une rue, je visite la cathédrale de la Sainte-Trinité où des enfants jouent au ballon sur le parvis. Qu’est-ce que j’aime l’intérieur des églises orthodoxes. Même si celle-ci n’est clairement pas la plus belle que j’aie visité. Pour moi, la plus belle église de Serbie et peut-être la plus petite est celle d’Oplenac avec sa crypte extraordinaire.
Le premier soulèvement serbe
Je continue mon parcours historique en visitant Ćele kula (Ћеле Кула) ou en français la tour des crânes. C’est le genre de visite que les amateurs de tourisme gothique vont apprécier. Pour d’autres comme moi, ça peut être choquant, voire morbide surtout quand on connaît l’histoire de ce monument. Mais malgré tout, ça fait partie pour moi du tourisme de mémoire, au même titre que les camps de concentration. Ces faits historiques horribles que l’on ne doit jamais oublier et d’où il faut en tirer des leçons du passé.
Les serbes étaient sous l’emprise de l’empire Ottoman depuis 1448 et depuis ils ont toujours cherché à regagner leur liberté et leur indépendance. En 1809 s’est déroulée la bataille du Mont Čegar qui est le premier soulèvement serbe. Très mécontents de ce soulèvement, les turcs ont érigé cette tour en guise d’avertissement pour les rebelles serbes et pour montrer leur domination. Ils ont utilisé les crânes des soldats serbes tués durant cette bataille bien alignés et fixés dans le ciment des murs de cette tour après avoir été dépecés (952 crânes au total). Une histoire à faire froid dans le dos tellement c’est barbare.
Aujourd’hui, une petite chapelle a été érigée autour de la tour des crânes. La visite est expresse car le lieu est tout petit et il ne reste qu’une cinquantaine de crânes. Mais on voit encore les trous où se situait chaque crâne. Du coup, j’ai fait trois le tour de la tour, en prenant le temps de lire les deux panneaux explicatifs et de réfléchir sur l’horreur de ce monument. La visite est courte mais franchement glaçante.
Et là au détour d’un panneau explicatif, je tombe sur un poème de Lamartine, en français. Mais comment est arrivé ce texte d’Alphonse jusqu’ici ? Et bien, figurez-vous que Lamartine est passé ici en Serbie lors de son “Voyage en Orient” en 1832-1833 (de son ouvrage du même titre), sur la route du retour depuis Constantinople. Ce poème affiché en français dans la tour des crânes décrit l’horreur qu’à ressenti Lamartine quand il a réalisé qu’il ne se trouvait pas devant « un joli bâtiment en marbre blanc » mais bien face à des crânes humains dont certains avaient encore des cheveux.
La villa romaine de Constantin
Après le soulèvement serbe du XIXème siècle, je décide de remonter encore plus loin dans l’histoire du pays avec la visite de Mediana (Медијана ou Medijana), une villa romaine du IVème s. construite à la demande de Constantin Ier qui est né ici même à Niš (à l’époque ça s’appelait Naissus).
Malheureusement pour moi, je me retrouve devant une porte close et un site à l’abandon avec des barrières. Il n’y a même pas un petit écriteau scotché sur la porte indiquant une future date de réouverture, pas même en serbe cyrillique. Est-ce que je suis venue le seul jour de la fermeture hebdomadaire ? J’en doute fort vu l’état de l’entrée du site. Est-ce que le site est en cours de rénovation ? Pour combien de temps ? Quand est-ce que ça ré-ouvre ? Aucune information à ce sujet. C’est d’autant plus gênant que ce site est inscrit sur la liste des “sites archéologiques d’importance exceptionnelle” de la République de Serbie. Ouais, permettez-moi d’en douter vu l’état de délabrement et d’abandon devant lequel je me trouve. Surtout que c’est une des fiertés de la ville, l’un des sites qui attire les touristes jusqu’à Niš.
Un commentaire sur TripAdvisor datant d’avril 2019 (moi j’y étais en mai 2017) indique que le site est toujours fermé. Je pense qu’il est définitivement fermé et qu’il ne rouvrira jamais. Vraiment dommage que le pays ne protège pas mieux ses sites protégés. Moi qui suis une fan d’archéologie mais qui n’en a pas fait son métier, c’est le genre de visite que j’adore. Mais à Niš, ce fut un échec total.
La seconde guerre mondiale en Serbie
Je me rattrape avec la visite d’un camp de concentration, Logor Crveni krst (ou le Red Cross concentration camp). Le tourisme de mémoire continue et la seconde guerre mondiale est la période qui m’intéresse et me touche le plus.
Initialement utilisé comme entrepôt militaire, ce site a été transformé en camp de concentration par les allemands durant la seconde guerre mondiale de 1941 à 1944. C’était un camp de transit où ils entassaient juifs, Roms et opposants au gouvernement avant de les envoyer vers les camps de la mort. Il y a eu jusqu’à 20 000 personnes dans ce camp avec les hommes au rez-de-chaussé et les femmes et enfants à l’étage.
La date marquante de ce camp est le 12 février 1942 où 105 prisonniers ont réussi à s’échapper du camp en se jettant tous en même temps contre les barbelés. Malheureusement, ce même jour, 50 autres personnes furent fusillées comme punition et avertissement. Et on peut voir les impacts de balle dans le mur de clôture.
Les cellules individuelles au grenier sont les plus dures à visiter. En plus de ne pas voir la lumière du jour, le sol de la cellule était recouvert de lignes de barbelés pour empêcher les prisonniers de s’allonger et de s’endormir.
En dehors de la ville se trouve un mémorial de la seconde guerre mondiale, le Bubanj monument. Le mémorial représente trois poings fermés gigantesques en béton (celui d’un homme, d’une femme et d’un enfant) réalisés par le sculpteur Ivan Sabolić. C’est en hommage aux 12 000 habitants de Niš qui ont été fusillés par les nazis pendant la seconde guerre mondiale. N’ayant pas de voiture, je n’ai pas pu me rendre sur ce site en dehors de la ville.
Bon, je dois l’avouer, la visite de la ville de Niš n’est pas des plus réjouissantes, une fois que l’on connaît son histoire douloureuse. Une histoire qui reflète bien l’histoire de la Serbie. Ceci dit, c’est important lorsque l’on voyage quelque part de comprendre par quelles épreuves les habitants sont passés, ce qu’il s’est passé ici. J’ai beaucoup aimé visiter et apprendre à connaître Niš via son histoire.
Des cheminées de fées en Serbie
A l’ouest de Niš, près de la frontière kosovare, se trouve Đavolja Varoš (Devil’s town). Un site naturel assez exceptionnel, un peu comme notre Colorado Provençal avec des formations rocheuses jaunes ou orangées en cheminées de fées. La ville la plus proche est Kuršumlija. Des bus vont de Niš à Kuršumlija mais il reste encore 28km à faire sur des routes étroites en mauvais état avant d’atteindre les cheminées de fées. Ce n’est pas possible d’y aller sans voiture. J’aurais voulu louer une voiture depuis Niš, mais il n’y a aucun loueur dans cette ville. Il faudrait louer la voiture depuis Belgrade. Je me promets de visiter ce site le jour où je retournerai en Serbie avec Paul, en voiture cette fois (c’est indispensable dans ce pays).
Infos Pratiques
Je sui restée à Niš deux jours et deux nuits en faisant tout à pied. Avec un véhicule, vous pourrez en plus aller jusqu’à Đavolja Varoš.
Bus Belgrade-Niš: j’ai payé l’aller-simple 1240 din + 50 din pour mettre le bagage en soute.
Guest house Etno Konak Tašana: 4200 din pour 2 nuits (soit 15€/nuit). Un petit studio avec terrasse privative en plein centre de Niš, dans une rue calme. Les propriétaires sont adorables.
La forteresse: accès gratuit
Ćele kula: Parce que j’ai tendance à tout vouloir faire à pied, sachez que j’ai tout de même marché 40min en plein soleil sur des grands boulevards (donc pas le plus agréable et les passages piétons sont rares et éloignés les uns des autres). Je vous recommande de ne pas faire comme moi, et de prendre le bus 1, 3 ou 10 pour vous y rendre depuis l’hyper centre de Niš. La visite ne coûte que 150 din mais elle est aussi très expéditive. A vous de voir si ça vaut le coup d’aller aussi loin pour une si courte visite. Pas de visite guidée.
Camp de Concentration: J’avais payé 150 din l’entrée. La visite se fait en indépendant (pas de guide).
Ne comptez pas sur l’aide de l’office de tourisme. Je suis allée les voir pour leur demander où je pourrais louer une voiture. Ils m’ont indiqué un faux lieu sur le plan. En me rendant à l’adresse indiquée, c’était un immeuble d’entreprises mais aucun loueur de voitures à l’horizon. Je leur avais aussi mentionné mon intention de visiter Mediana durant mon séjour À aucun moment ça n’a traversé l’esprit de la dame de l’OT de me prévenir que le site était fermé depuis plusieurs mois (années?). Ils sont totalement inutiles et ne connaissent pas leur ville (ce qui est un comble quand on travaille à l’office de tourisme).
Voyage réalisé en Mai 2017. Les tarifs ont pu évoluer depuis.
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6 Comments
Je vous avais laissée sur l’exotique Flores, votre « Eldorado » atlantique. Vous avez su me donner l’envie d’y aller et j’ai pris le billet. Et à présent vous voici dans Nis, la belle orientale de l’ex-Yougoslavie. Votre sensibilité voyageuse est merveilleuse et chaque fois pour nous ouvrir les portes des coins les moins connus de l’europe. Nous autres jeunes « routards » des années 1970 passions par Nis sur le long chemin entre l’europe et les indes. Mais, trop pressés de lever le pouce à la sortie de la ville pour filer vers l’orient et Kathmandou, nous n’en avons souvent rien vu. Une nouvelle fois, votre talent d’écriture et votre finesse voyageuse me mettent sur la piste de merveilleuses destinations oubliées du tourisme de masse. Merci.
Oh merci beaucoup, votre commentaire me touche beaucoup, ça fait très plaisir.
Et je suis ravie d’apprendre que vous avez pris votre billet pour les Açores, qui sont merveilleuses.
Un collègue de travail me raconte souvent son roadtrip en moto dans l’ex-Yougoslavie dans les années 80-90 et ça me rend complètement admirative quand je l’écoute. Vous étiez de vrais baroudeurs à l’époque, à traverser des pays en guerre et quand il n’y avait pas internet ou de GPS. Aujourd’hui, c’est beaucoup plus facile de découvrir ces pays grâce à la technologie. J’ai moins de mérite. Encore une fois merci beaucoup pour ce message, ça m’encourage à continuer mes explorations et ce blog.
Bravo, une belle expérience d’une semaine en Serbie, whaouuuu…. merveilleux accueil
J’aime toujours bien découvrir les Balkans avec toi, j’ai vraiment envie de connaitre mieux ces pays ! Beau récit plein d’histoire, juste comme j’aime. Merci pour la découverte.
Merci et je suis sûre que c’est une destination qui vous plairait à toutes les deux, c’est bien dans votre ligne éditoriale.
Moi aussi j’ai eu des péripéties avec les transports en communs Serbes mais je me suis arrêté seulement à Belgrade, je pensais que les mentalités allaient changées et j’étais vraiment déçue de la destination et surtout des gens.
Nis a l’air plus jeune que la capitale et les photos donnent envie d’y aller 🙂